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MA CHRONIQUE du 21 mars 2025

Dernière mise à jour : 9 avr.



30 août 2022, j’ai peur. Un obus tombe à quelques dizaines de mètres. Un bruit qui rend le vivant silencieux, un choc. Denys, mon fixeur, crie « jette-toi à terre ». Mon cœur s’arrête.


Pas de second tir, nous nous relevons. J’ai peur. Instinctivement je prends dans mes bras deux chiots errants, d’égal à égal avec moi face à la guerre ; mon casque et mon gilet pare-balle ne valent pas plus que le duvet de ces petits chiens face à la frappe. 


Ce jour a marqué ma vie. Mais ce n’est pas l’obus qui a laissé une empreinte indélébile, c’est ce qui a suivi. 


Nous rejoignons un véhicule et nous dirigeons vers la maison d’une femme, Inna, elle nous attend. Nous devons ravitailler ce village de l’oblast de Kherson, la ligne de front est proche. Impossible de savoir si un autre tir va surgir. 300 civils survivent ici. Dans l’action, la peur cesse de me dominer. Elle est juste présente, je guette le ciel. Je prie. 


Nous arrivons. Inna a vu passer l’obus, elle est allée se mettre a l’abri, son jardin est rempli d’éclats de métaux qui ont jailli plus fort que des tirs de snipers. Elle nous rejoint. Le temps se suspend, la peur se transforme, le présent nous parle : nous sommes en vie. Inna me prend dans ses bras, nos larmes se mêlent dans un instant de consolation, nos visages se fixent ensuite. Notre regard est fort, le sourire efface la peur maintenant. 


15 minutes plus tard, nous sommes dans sa cuisine, 3 cafés nous apportent la chaleur du réconfort. Depuis le début de la guerre, Inna distribue au péril de sa vie des vivres aux personnes âgées de son village. Elle est heureuse de voir arriver notre ravitaillement. Nous évoquons les poésies que nous écrivons l'une et l'autre, je recueille son témoignage, nous rions, nous nous embrassons. Les seuls occupants de la pièce en dehors de nous trois sont l’amour et la vie. 


La peur s’est tue.


Aujourd’hui je pense à Inna en regardant l’actualité, en observant la vie dans la rue ou ailleurs, en me regardant moi-même parfois, je me dis : ne cédons pas à la surenchère de la peur. Soyons les disciples d’Inna. La peur, elle ne l’ignore pas mais elle la dépasse. Elle la défie : elle agit, elle aime, elle accepte la vie et s’emploie à lui donner les couleurs de la paix et de l’espoir. Gagnera-t-elle ? Elle ne le sait pas, mais elle vit au-delà de tout. 


La peur est un réflexe naturel qui nous préserve. Elle est aussi une émotion paralysante face aux épreuves, petites ou grandes. Aucun jugement face à cela, simplement une conscience : celle de la force viscérale qui loge en chacune et chacun d’entre nous lorsque nous coupons les fils qui donnent le pouvoir à quelques marionnettistes, ou à nous-mêmes, de définir la peur tel un instrument de guerre face à la vie. Inna m’a appris que la peur est un signal, une étape. C’est ce qui suit qui est notre empreinte. 


Le 30 août 2022, Inna est devenue mon héroïne, ma chance. 


Et vous, qui est « votre Inna » ? Ce visage qui vous inspire la vie.


 
 
 

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