Inna, mon héroïne
- florence marsault

- 15 mars
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

AUDIO 🎧 https://bit.ly/HEROINE_EPISODE_2
FIGURE DE RÉSILIENCE
Côte à côte nous sommes en terre de guerre, ta terre résistante, ton pays au drapeau jaune et bleu.
8h ce matin, arrivée dans ton village après deux heures de route dès le lever du couvre-feu. Ravitaillement d’urgence à deux kilomètres du front. J’entre dans un bâtiment marqué des traces des combats. Rencontre avec deux hommes âgés, ils se calfeutrent dans le sous-sol, leur maison n’a pas d’abri. Réalité de guerre, un obus tombe à quelques dizaines de mètres. Un bruit qui rend le vivant silencieux, un choc. Denys, mon fixeur, crie « jette-toi à terre ». Mon cœur s’arrête.
Pas de second tir, nous nous relevons. Instinctivement je prends dans mes bras deux petits chiots errants, d’égal à égal avec moi face à la terreur. J’ai peur. Mon casque et mon gilet pare-balle ne valent pas plus que le duvet de ces petits chiens face à la frappe.
Ce jour a marqué ma vie. Mais ce n’est ni l’obus ni la peur qui a laissé en moi une empreinte indélébile, c’est ce qui a suivi.
Nous rejoignons un véhicule et nous dirigeons vers la maison d’une femme, Inna, elle nous attend. Nous devons ravitailler ce village de l’oblast de Kherson, la ligne de front est proche. En bruits de fond, les hurlements des chiens et les explosions qui tombent du ciel comme une pluie criminelle. Impossible de savoir si un autre tir va surgir. 300 civils survivent ici. Urgence humaine, instinct de vie. Dans l’action, la peur cesse de me dominer. Elle est juste présente, je guette le ciel. Je prie.
Nous arrivons à destination devant la maison d’Inna. Elle est allée se mettre à l’abri, son jardin est rempli d’éclats de métaux qui ont jailli des engins ennemis, plus forts que des tirs de snipers. Elle nous rejoint. Le temps se suspend, la peur se transforme, le présent nous parle : nous sommes en vie. Inna me prend dans ses bras, nos larmes se mêlent dans un instant de consolation. Nos visages se fixent ensuite, notre regard est fort, le sourire domine. La chaleur humaine efface la peur maintenant. Dans l’enfer des combats, la tendresse vibre comme un sentiment intense, essentiel et sublime.
15 minutes plus tard, nous sommes dans sa cuisine, trois cafés nous apportent la grâce du réconfort. Depuis le début de la guerre, Inna distribue au péril de sa vie des vivres aux personnes âgées de son village. Elle est heureuse de voir arriver notre ravitaillement. Nous évoquons les poésies que nous écrivons l'une et l'autre, je recueille son témoignage, nous rions, nous nous embrassons. Les seuls occupants de la pièce en dehors de nous trois sont l’amour et la vie.
La peur s’est tue.
Aujourd’hui je pense à Inna en regardant l’actualité, en observant la vie dans la rue ou ailleurs, en me regardant moi-même parfois. Je me dis : ne cédons pas à la surenchère de la peur ; soyons les disciples d’Inna. La peur, elle ne l’ignore pas mais elle la dépasse, elle la défie. Elle agit, elle aime, elle accueille chaque jour naissant et s’emploie à le teinter de paix et d’espoir. Inna dompte la peur en lui attribuant uniquement sa juste place, celle qui l’alerte du danger. Gagnera-t-elle contre les tirs ennemis ? Elle ne le sait pas, mais à l’instant présent elle est en vie au-delà de tout.
La peur est un réflexe naturel qui nous préserve. Elle est aussi une émotion paralysante face aux épreuves, petites ou grandes. Aucun jugement face à cela, simplement une conscience : celle de la force viscérale qui loge en chacune et chacun d’entre nous lorsque nous coupons les fils qui donnent le pouvoir à quelques marionnettistes, ou à nous-mêmes, de définir la peur tel un instrument de guerre face à la vie. Inna m’a appris que la peur est un signal, une étape. C’est ce qui suit qui est notre empreinte.
Ce 30 août 2022, Inna est devenue mon héroïne, ma chance.
Et vous, qui est « votre Inna » ? Ce visage qui vous inspire la vie.
🫶 Prenez soin de vous et savourez l'existence

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