Mon travail, mon amour
- florence marsault

- 11 avr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

AUDIO 🎧 https://bit.ly/EPISODE_5_TRAVAIL
INDIVIDU ET SOCIÉTÉ
Une petite voix me titille quant à mon rapport au travail, à la valeur très grande que je lui accorde. C’est cette même petite voix qui me dicte les mots de cette nouvelle chronique intitulée avec humour et conviction « Mon travail, mon amour ».
Je vais être parfaitement honnête avec vous, je l’ai rédigée aussi un peu par provocation au calendrier du mois de mai au cours duquel l’encre coule souvent pour nous indiquer par quelle arithmétique quelques jours de congés mêlés à quelques ponts créeront des grandes vacances. Or, durant 20 ans j’ai accompagné des petites et « grandes » entreprises (parce que je n’aime pas dire "moyennes") dont la vie est écrite chaque jour par des femmes et des hommes toutes et tous indispensables et très souvent remarquables. J’ai vu des gens aimer profondément leur travail, et c’est à ce sentiment qui j’ai envie de rendre hommage.
Le sens du service, le goût du travail bien fait, la conscience professionnelle, se lisent sur toute personne qui œuvre à son métier avec courage, plaisir ou satisfaction, persévérance ou ambition. Songez comme il est agréable d’avoir face à nous un ou une professionnelle qui travaille avec le sourire, qu’il ou elle soit artisan, homme d’entretien, caissière, chauffeur de taxi ou enseignante ou chef d’entreprise. Alors aujourd’hui, j’ai envie de parler de cette valeur travail, qui en réalité, sonne à mon esprit comme la chance de nous accomplir et d’apprendre. Est-ce uniquement la vision d’une femme apparemment privilégiée et animée par les projets qu’elle entreprend ? J’ai la conviction que non…
Pour saisir vraiment la valeur d’une chose, il est intéressant de s’interroger sur les conséquences de son absence. Alors je partage avec vous deux questions et deux situations.
Imaginez… Si du jour au lendemain, vous n’étiez plus en mesure de travailler ? Si une situation de crise grave dans notre pays vous privait de cet acte quotidien, du fruit de vos efforts autant que d’une part de votre accomplissement en tant qu’individu ? Que ressentiriez-vous ? Que ressentirions-nous ?
Ces deux situations, je les évoque parce que je les ai vécues. L’une d’entre elles m’a touchée personnellement, l’autre, j’en été témoin dans un contexte singulier.
La première s’est produite il y a tout juste un an quand mon corps s’est brutalement arrêté. Quelques semaines avant cet épisode, je me souviens d’un week-end au cours duquel j’initiais mon fils à quelques fondamentaux de gestion car il venait de créer son auto-entreprise. Je lui dévoilais le beau tableau Excel qui contenait les noms de mes clients, la nature de mes missions et le chiffre d’affaires associé, une sorte de symbole rationnel du fruit de mes efforts et de ma persévérance. Je me sentais victorieuse et rassurée grâce à mon travail. Eh bien, ce tableau a atterri quelques jours plus tard dans ma poubelle, juste après avoir appelé mes clients, avec une profonde tristesse, pour leur annoncer que je n’étais plus en mesure de reprendre mes missions durant un temps indéterminé.
Stade sévère d’une maladie complexe. J’étais un demi-légume dont le corps ne parvenait pas à obéir aux commandements de l’esprit, fonctions cognitives aux abonnés absents aussi. Un crash, c’est comme cela que se nomme l’épisode qui était en train de changer ma vie, de me priver de mon travail.
L’horloge du temps professionnel, que j’avais passé plus de 20 ans à parfaire, à aiguiser, à savourer, a rendu l’âme dans sa forme du moment. J’en étais fière pourtant, en tant que femme, en tant que mère pour montrer à ma fille que l’histoire change, que les femmes peuvent se faire confiance et oser des voies professionnelles ambitieuses et heureuses.
Le temps a été suspendu pour absorber le choc, accepter, me requinquer, puis comprendre que mon travail ne m’était pas enlevé parce que cette valeur, ce goût de construire était un trésor, et ce trésor était encore en moi. Je devais simplement le réinventer entièrement sous une autre forme. Agir, comme je l’avais toujours fait, mais en mieux, avec une force de conviction décuplée. Et c’est ce qu’il est produit.
La seconde situation que j’évoquais en préambule, j’en ai été témoin en 2022 au cœur de la guerre en Ukraine.
Dans les régions attaquées, la vie des familles, des hommes, des femmes, des enfants s’est arrêtée brutalement. L’emploi du temps quotidien rythmé par le travail des adultes et l’école des enfants a laissé place à la survie, à la recherche de solutions, à la peur comme au courage. Lors des missions humanitaires que je menais sur le terrain, je vous fais la promesse qu’il n’y avait pas un homme ou une femme qui ne se battait pour trouver un moyen de travailler coûte que coûte dans ce chaos. Pour l’argent évidemment, besoins primaires, vitaux : se nourrir, se chauffer, se loger. Les mères nous demandaient de l'aide pour mettre leurs enfants en sécurité durant quelques heures de la journée pour aller travailler car leur mari était souvent sur le front, ou décédés.
Les civils à qui nous demandions s’ils avaient besoin de quelque chose pour leur famille nous répondaient fréquemment : "Nous ne voulons pas d’argent, nous voulons du travail." Les personnes âgées cultivaient la moindre parcelle de terre pour vendre sur le bord de la route les fruits, les légumes et les herbes qu’ils avaient produits avec soin pour gagner de quoi survivre.
Et une fois les chocs et l’urgence matérielle passés, cette même quête de travail devenait essentielle pour d’autres raisons : pour retrouver à tout prix ce qui ressemble à une vie où l’on crée quelque chose de ses jours, où nos compétences sont utiles et utilisées, où l’on a des interactions humaines, où l’on partage un café, une discussion, où les nouvelles de la famille sont échangées, où l’on est satisfait des fruits de son œuvre journalière, quel que soit son métier…
Cette page de vie fondamentale de mon parcours, cette aventure humaine sous le drapeau jaune et bleu, est encore aujourd’hui une des plus enrichissantes de ma vie ; elle m’a fait toucher du doigt l’essentiel.
Alors je reviens avec vous sur ma question initiale, sans jugement aucun, simplement par goût de la réflexion collective : Et si pour une raison ou une autre nous étions privés de travailler, comme le sont un grand nombre de femmes et d’hommes dans notre monde et dans notre pays, pour des raisons très différentes. Je vous livre ma réponse : par mon vécu ou par les expériences dont j’ai été témoin en France, en Ukraine ou au Maroc lors de mes missions humanitaires, j’ai l’intime conviction que le travail est une chance, un élément constitutif et structurant de notre existence et de notre accomplissement. Pour preuve, les individus qui en sont privés se battent souvent de toutes leurs forces pour connaître à nouveau cette part fondamentale de leur vie.
Je dirais que le travail est un acte tantôt stimulant, tantôt épuisant, un acte engageant, stressant, passionnant, nécessaire et vital ; un acte qui définit une part importante de notre identité individuelle, et une part majeure de notre destinée collective.
Et vous, quelle est votre vision du travail ? Transmettez-moi vos mots et vos expériences.
🫶 Prenez soin de vous et savourez l’existence :)

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